Sans avoir atteint le degré de romanisation de la Gaule, où la langue même des populations celtiques et préceltiques céda la place au latin, l'Angleterre (entendons par là la partie de la Grande-Bretagne située au sud du mur d'Hadrien) fut assez profondément et durablement marquée par l'occupation romaine. Des villes comme Londres, York ou Lincoln avaient forum, thermes, théâtre, tout comme Nîmes, Arles ou Autun. Un réseau de routes couvrait le pays; une hiérarchie de fonctionnaires assurait l'administration, l'armée faisait régner l'ordre. Au IVe siècle, après les grandes réformes de Dioclétien, la Britannia, divisée en deux provinces, fut rattachée à la préfecture du prétoire des Gaules, dont le siège fut successivement à Trêves et à Arles. On peut donc parler, sans abus de langage, d'une civilisation " brito-romaine " comme de la " gallo-romaine " au sud de la Manche.

En Écosse, rien de semblable. Même entre les deux murs d'Hadrien et d'Antonin, seule partie du territoire écossais où les Romains eurent une implantation durable (du IIe au IVe siècle, avecles vicissitudes évoquées plus haut), il n'y eut jamais de ville romaine à proprement parler. Les peuples locaux ne furent pas assimilés par les occupants. La langue latine ne fut pour eux qu'une langue étrangère, nécessaire sans doute pour les relations avec les maîtres de l'heure, mais limitée à celles-ci.

Cependant, il serait exagéré de dire, comme l'ont parfois fait certains historiens écossais de l'ère victorienne ou postvictorienne, que le passage des Romains au nord de la Tweed n'ait laissé aucune trace. A défaut de villes, les Romains ont occupé des camps fortifiés, auprès desquels se sont développés des villages indigènes nés des nécessités du commerce et du ravitaillement. Beaucoup deces sites ont été fouillés par les archéologues modernes et ont livré d'abondantes trouvailles d'armes et d'objets divers, venant d'Angleterre, de Gaule et même d'Orient.

Il s'agit, assez souvent, de sites qui étaient déjà occupés avant l'arrivée des Romains, et dont l'origine se perd dans la Préhistoire. Sans même parler d'Inchtuthil, poste avancé au nord de la Tay, dont nous avons vu la brève existence (mais aussi la richesse archéologique), on trouve de telles preuves de la présence romaine à Newstead sur la Tweed, grand camp romain nommé Trimontium construit par Agricola, à Traprain Law près de Haddington, à Inverest près de Musselburgh dans la banlieue d'Édimbourg (le site même d'Edimbourg, Din Eidyn, bien qu'occupé depuis un millénaire lors de l'arrivée d'Agricola, ne semble pas avoir été retenu par les Romains malgré son évidente valeur stratégique), a Tap O'Noth près de Rhynie (où on a retrouvé, au pied d'une colline fortifiée, les traces de près de deux cents maisons rondes en bois).

Les objets trouvés dans ces fouilles sont des objets usuels, des poteries, des instruments domestiques ou agricoles, des monnaies, de l'argenterie, et bien entendu des armes. Ils prouvent que, même s'ils refusèrent toujours d'être assimilés par les envahisseurs latins, les peuples celtes qui occupaient l'espace au sud de la ligne Clyde-Tay avaient adopté plusieurs de leurs apports matériels. En particulier, le réseau de routes et de ponts créé par les Romains àdes fins stratégiques (et qui, peut être, reprenait des tracés remontant à la Préhistoire) servit de base aux routes médiévales. La route d'York au Firth of Forth, connue au Moyen Âge sous le nom de Dere Street (street est le latin strata, voie pavée), devait rester en usage jusqu'à l'époque moderne.

En revanche, au nord de la ligne Clyde-Tay, les trouvailles d'objets romains sont exceptionnelles. Les Caledonii, avec leurs corps teints en bleu et leurs chars de guerre, n'ont apparemment entretenu avec les Romains du sud du mur que des relations hostiles; les charmes du confort venu du continent n'ont pas agi sur eux. La difficulté de soumettre ces rudes montagnards devait être l'une des constantes de l'histoire de l'Ecosse, jusqu'au XVIIe siècle au moins.

Reste à évoquer l'un des aspects les plus mystérieux, les plus obscurs, les plus importants aussi, du legs romain en Ecosse: le christianisme. La religion venue de Judée était répandue en Britannia, comme en Gaule, dès le IIIe siècle au moins. Avait-elle atteint les garnisons romaines du sud de l'Écosse ? C'est probable, mais nous n'en avons aucune preuve formelle, Si ce n'est que, vers le milieu du Ve siècle, saint Ninian, venu de Rome pour évangéliser le pays, y trouva apparemment des églises chrétiennes, s'il faut en croire le chroniqueur anglais Bède, qui écrivait au VIIIe siècle. Témoignage vague, tardif, " repère isolé dans le désert documentaire " comme l'exprime l'historien Michael Lynch. Comme les origines celtes, les origines chrétiennes de l'Ecosse sont baignées de brouillard.

 

 

 

 

L'ÉPISODE ROMAIN EN ECOSSE:

UNE RIDE À LA SURFACE DE LA MER

 

Dans la continuité des siècles, l'épisode romain est donc presque négligeable en Ecosse. Non seulement les légions n'ont conquis durablement qu'à peine un quart de la superficie du pays, mais, quelques années après leur départ, il ne subsistait presque plus rien de la civilisation qu'elles avaient apportée avec elles. Seules les traces matérielles demeuraient; les mentalités et les moeurs des populations étaient inchangées.

On s'est beaucoup interrogé sur les raisons d'un tel échec des Romains, en contraste avec l'assimilation rapide des peuples de Gaule qui, eux aussi, étaient pourtant des Celtes.

L'époque d'Agricola, d'Hadrien, d'Antonin, de Septime Sévère, correspond à l'apogée de l'Empire. La force conquérante des légions était, semblait-il, irrésistible, aussi bien en Occident qu'en Orient. Pourtant, elles n'ont pu dépasser le Forth qu'exceptionnellement, et pour peu de temps. Sans doute les troupes romaines affectées à ces campagnes de l'extrême Nord étaient elles trop peu nombreuses pour une occupation dense, donc durable. Sans doute aussi la nature du sol et le climat étaient-ils trop rudes pour qu'une mise en valeur agricole pût être tentante, à l'inverse de la Gaule ou de la Britannia au sud de la Tyne. La conquête des hautes terres de la Caledonia aurait exigé un effort militaire et financier disproportionné par rapport à l'intérêt de l'opération. Il n'y avait là ni terres à blé, ni vastes terrains d'élevage, ni grandes réserves métallifères, juste des marais, des tourbières et des landes, rien qui justifiât, du point de vue des empereurs de Rome, une guerre longue et coûteuse, alors que tant d'autres terrains d'opérations requéraient la présence des troupes sur le Rhin, le Danube et l'Euphrate.

La résistance des populations - ces Caledonii au corps teint de bleu, aux cheveux blonds ou roux, au caractère farouche que décrivent les historiens grecs et latins à partir de Tacite joua un rôle déterminant dans l'arrêt de la progression romaine vers le nord. Calgacus fut sans doute vaincu au Mons Graupius en 83 après J.C., mais il se retira dans ses montagnes et jamais son peuple fût soumis. Hadrien, puis Antonin en tirèrent les conséquences; deux murs successifs édifiés par eux, en coupant (théoriquement) l'accès du Sud aux Caledonii, Picti, Maeatae et autres dénominations des indomptables peuples du Nord, consacraient pour la première fois la différence fondamentale qui existe entre les deux parties de l'île britannique.

Les siècles suivants devaient, dans d'autres contextes, renforcer l'originalité et l'irréductibilité de ce qui allait devenir la Scotia - l'Ecosse.

Mais le bref épisode romain présente encore un autre intérêt en fixant à la ligne Clyde-Forth (voire, passagèrement, Clyde-Tay) la limite de leur domaine, les empereurs isolaient le nord de l'Écosse, correspondant grosso modo aux Highlands, du Sud, c'est-à-dire les Lowlands et les Southern Uplands. Cette division devait, elle aussi, devenir traditionnelle et incontournable dans l'histoire de l'Ecosse jusqu a nos jours.

 

 

CINQ OU SIX SIÈCLES D' " ÂGE OBSCUR " (Ve-Xe SIÈCLE)

 

 

Après le départ des Romains s' ouvre pour l'Écosse une longue période, presque un demi-millénaire, que les historiens écossais appellent l'" âge obscur ", the dark age.

Du v au x siècle, nos sources d'information se réduisent à des vies de saints, pleines de miracles et de chronologie plus qu'incertaine, à des listes de rois légendaires, et à des poèmes ou fragments de poèmes qui relèvent plus de la fiction que de l'histoire. Ces sources, de provenances diverses, non seulement ne se complètent pas l'une l'autre, mais se contredisent souvent et laissent, de toute façon, d'énormes lacunes dans leur information.

Pourtant, cette longue période, ou n emergent que de loin en loin des faits précis et datés, est essentielle dans l'histoire de l'Écosse. C'est alors que s'est formé le royaume des Scoti, qui a donné son nom au pays, et que s'est réalisée, au moins en partie, l'unité du territoire. Il vaut donc la peine d'en scruter la genèse le plus attentivement possible, sans nous dissimuler pour autant les vastes lacunes de notre connaissance faute de témoignages historiques convaincants.

On décrit traditionnellement, depuis l'historien médiéval Bède (VIlle siècle), l'Écosse comme occupée par quatre peuples, les Scotti ou Scoti, les Brettones, les Picti et les Angli. Il faut en ajouter un cinquième: les " hommes du Nord ", Scandinaves venus d'au delà de la mer du Nord, qui s'implantent précisément à partir du VIlle ~ cle. Ce sont les luttes entre ces cinq peuples, leurs avancées et reculs successifs, leur fusion progressive enfin, qui sont à l'origine de l'Écosse en tant que royaume et que nation.