Nous avons déjà rencontré les Pictes, les " hommes peints ", qui ne sont autres que les Caledonii d'Agricola. Occupants du nord de l'Ecosse au delà du Forth (y compris, à l'origine, les Orcades et les Shetland), ils ont été l'âme de la résistance aux Romains et ont su conserver jalousement leur indépendance.

Pourtant, tout ou presque tout est mystérieux en eux. Les historiens écossais parlent volontiers de l'" énigme picte ", et l'imagination populaire brode sur ce thème jusqu'aux limites de la science-fiction, au point qu'on a pu parler de " pictomanie " avec tous les excès que ce genre de passion comporte. Nous ignorons quelle langue ils parlaient - le missionnaire irlandais Columba, nous l'avons vu, avait besoin d'interprètes au VIe siècle pour se faire comprendre d'eux -, et les témoignages que nous possédons sur eux sont contradictoires. Celtes, " proto-Celtes ", ou population autochtone préceltique, toutes les hypothèses ont été formulées, sans qu'aucune s'impose absolument.

Les Pictes ont laissé d'abondants monuments archéologiques, dont l'interprétation est difficile, faute de datation précise. Ce sont essentiellement des pierres dressées, couvertes de figures gravées, les unes géométriques (y compris des croix après la christianisation), les autres figuratives, quadrupèdes, oiseaux, chaudrons, chariots à roues. Ces pierres, dites " symboliques ", avaient sans doute une valeur religieuse, peut-être funéraire, sans qu'on soit en mesure de l'affirmer.

Tout aussi mystérieuses sont les inscriptions, en alphabet " ogamique " (système d'encoches gravées sur la pierre d'après l'alphabet latin) qui donnent des mots incompréhensibles et imprononçables tels que ATTOCUHETTS AHEHHTANN HCCVVEVV NEHHTONS ou BESMEQQNANAMMOVVEZ. S'agit-il d'un langage codé, ou de symboles ésotériques non littéraux, cela aussi nous l'ignorons.

C'est le moine anglais Bède, au VIe siècle, qui parle des Pictes avec le plus de détails, mais, de par son origine même, il les décrit " de l'extérieur " et sans excès de sympathie. Il affirme, ce que nous savons aussi par d'autres sources, que chez eux la succession de la royauté se faisait non pas de père en fils, mais par filiation féminine: système original qui faisait le plus souvent du neveu le successeur de l'oncle, au détriment des fils. On conçoit que les rivalités aient été fréquentes, et aussi les assassinats entre cousins.

 

Une autre conséquence du système était que, les filles et soeurs de rois épousant fréquemment des chefs étrangers, la royauté picte était ainsi transmise à des fils de princes d'autres pays: c'est ainsi, peut-être, que le Scot Kenneth Mac Alpin finit par unir les deux royaumes. Ce régime de transmission matrilinéaire frappait les étrangers et continue à fournir matière à d'abondantes discussions entre les ethnologues d'aujourd'hui.

Il semble qu'il n'y ait jamais eu à proprement parler un royaume picte unifié, mais plutôt une fédération de royaumes, ou de chefferies, avec un ou deux " rois supérieurs " ou suzerains. Selon les époques, les témoignages contemporains parlent de deux royaumes (Bède: Pictes du Nord et Pictes du Sud, séparés par le Mounth, chaîne de montagnes transversale au sud d'Aberdeen), ou de quatre, ou de sept. Sans doute y eut-il, au long des siècles, des émergences de dynasties locales, des fusions, des divisions. Au VIe siècle le royaume de Fortriu (où l'on retrouve le nom des Verturiones, peuple cite au ii siecle par Claude Ptolémée) était puissant autour de Dunkeld (" le fort des Calédoniens ") et de Scone. A d'autres époques on cite le royaume de Fib (Fife, qui aujourd'hui encore se vante d'être " indépendant ").

 

La tradition, rapportée par les bardes, attribuait à un légendaire Cruithne la fondation du peuple picte, et à ses sept fils l'origine des sept " provinces " ou tribus qui le composaient. Au VIIIe siècle le roi picte Oengus 1er exerçait une sorte de suprématie sur l'ensemble de l'Ecosse, mais il s'agit d'un épisode mal connu et, de toute façon, éphémère.

Les combats entre les Pictes et leurs voisins étaient fréquents et anciens. Le système de succession matrilinéaire en vigueur chez les Pictes facilitait les alliances et les rivalités dynastiques. Au début du IXe siecle, le roi Oengus Il, fils du roi scot Fergus et d'une princesse picte, régnait conjointement sur les deux peuples. A sa mort en 834, son fils Eoganan lui succéda. C'est à lui que devait incomber la responsabilité de faire face, avec une armée scote et picte, à une vaste offensive des Vikings venus d'Irlande et de livrer la bataille au cours de laquelle il fut tué, ouvrant ainsi une double crise de succession.

 

Cette bataille de 839 frappa les contemporains par l'ampleur des pertes subies par les Scots et les Pictes, au point que certains historiens écossais modernes l'ont comparée à la grande défaite historique infligée à Jacques IV d'Ecosse par les Anglais à Flodden en 1513, qui faillit rayer de la carte le royaume d'Ecosse. On doit cependant constater que, peu d'années après, les dégâts devaient être réparés, puisque le règne de Kenneth Mac Alpin apparaît comme glorieux dans les annales du pays.

 

Les origines de Kenneth Mac Alpin sont assez obscures, son père Alpin n'ayant laissé aucune trace sûre dans les généalogies. Une fois devenu roi, on le rattacha à la maison royale des Scots de Dalriada; c'est possible, sans être certain. Nous ignorons dans quelles circonstances il accéda à la royauté des Scots, sans doute comme

conséquence du drame de 839. Quelques années plus tard, il régnait également sur les Pictes, et désormais les deux royaumes devaient rester unis sans être jamais plus séparés. Cette union est traditionneljiement considérée comme l'acte de naissance du royaume d'Ecosse: " Kenneth fut le premier des Scots à régner sur tout le pays qu'on appelle aujourd'hui l'Ecosse ", écrit au XIIIe de la Chronique de Huntingdon. Nous verrons plus loin ce que nous savons des conditions dans lesquelles fut réalisé l'avènement de Kenneth au trône picte et de ses conséquences.

Au moment de cette union, le peuple picte était déjà christianisé grâce aux efforts du moine missionnaire Columba et d'autres moines venus du monastère scot d'Iona (nous y reviendrons). A part cela, nous ignorons à peu près tout des structures politiques, économiques et sociales des Pictes. On a émis l'hypothèse, assez vraisemblable, que l'ensemble de la population, agriculteurs et pêcheurs, était de souche préceltique, héritière directe de la culture néolithique, soumise à une classe guerrière descendant des envahisseurs celtes, exerçant le pouvoir et levant des impôts en nature.

 

Quant au mode de vie, il devait se situer au même niveau que celui des autres peuples celtiques et germaniques de la même époque: agriculture rudimentaire, élevage, chasse, pêche, artisanat du textile et de la poterie, usage limité des métaux, violence endémique. La défense était assurée par des forts bâtis en bois et pierre, qui pour la plupart ont subsisté sous forme de pierres vitrifiées par l'incendie, d'où leur nom de " forts vitrifiés ". Les brochs préhistoriques ont subsisté jusqu'à la fin du royaume picte, ainsi que les chambres souterraines, refuges ou greniers, surtout dans le Nord.

 

Nous ne savons avec certitude ni Si les Pictes étaient monogames ou polygames ni quelles étaient leur langue et leurs croyances avant l'implantation du christianisme.