(1297-1298)
La " pax Anglicana " - pour paraphraser la " pax Romana " de l'Antiquité - ne devait pas durer longtemps. En fait, l'autorité du gouverneur anglais, dès le départ, ne s'étendit guère au nord de la Tay et de la Clyde. Des troubles éclatèrent, sporadiques, en Galloway, en Argyll. Mais il manquait un chef pour coordonner la résistance: il apparut dans l'Ouest au printemps de 1297.
Ce ne fut, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, ni un comte ni un baron, mais un simple jeune homme de la paroisse de Paisley, dans le comté d'Ayr. Il s'appelait William Wallace (en latin Wa1ensis), ce qui indique une origine galloise, donc celte. On ignore sa date de naissance et le début de sa vie. La légende, peut être fondée sur la réalité, le dépeint comme un adolescent batailleur, querelleur, un peu comme, au siècle suivant, Bertrand du Guesclin en Bretagne. En tout cas, les témoins le décrivent grand, athlétique, intrépide et sans pitié.
Il entre dans l'Histoire par le meurtre du sheriff (anglais) de Lanark, à cause, dit-on, d'une rivalité amoureuse au sujet d'une jeune fille noble. Ce sheriff avait la réputation d'un tyran - l'histoire n'est pas sans rappeler celle de Guillaume Tell et du méchant bailli Gessler. Mis hors la loi à la suite de ce crime, Wallace se retire dans les forêts où de hardis compagnons viennent le rejoindre, et à la tête d'une troupe de trente hommes il massacre la garnison anglaise de Lanark (mai 1297).
Son nom est désormais connu dans toute l'Ecosse; des nobles se rallient à lui, au premier rang desquels le vaillant William Douglas, " le Hardi ", qui sera son plus fidèle lieutenant. Les opérations de harcèlement contre les Anglais se multiplient, selon le scénario bien connu des guérillas menées contre une puissance occupante.
L'évêque de Glasgow, Robert Wishart, ancien gardien du royaume après la mort d'Alexandre III, se montre particulièrement actif à susciter des vocations de résistants; en juin, il réussit un coup de maître en amenant James Stewart, le grand seigneur du Sud-Ouest, à rejoindre le camp de Wallace; et surtout, un peu plus tard, c'est Robert Bruce le Jeune - le petit-fils du " compétiteur ", revêtu du prestige du sang royal coulant dans ses veines - qui saute le pas et passe à la rébellion contre Edouard 1er. L'événement était lourd de conséquences, car jusqu'alors les Bruce avaient été parmi les plus fidèles soutiens des Anglais en Ecosse.
En août, Wallace mit le siège devant Dundee, la riche cité de l'estuaire de la Tay, qui ne manifestait pas l'intention de se rallier àlui. Surrey et Cressingham, que l'ampleur du mouvement de résistance commençait à inquiéter, saisirent aussitôt la chance qui s'offrait à eux de lui barrer la route du retour vers ses bases de l'Ouest. Ils firent mouvement sur Stirling dont la forteresse domine la plaine marécageuse du Forth à l'endroit où (à l'époque) s'élevait le dernier pont permettant le passage de la rivière avant son estuaire.
Wallace comprit le danger et revint en hâte, mais les Anglais étaient déjà installés sur la rive droite du Forth, bloquant le pont. Il se campa sur la rive gauche, près de l'abbaye de Cambuskenneth, sur une éminence rocheuse nommée Abbey Craig. Son armée comprenait 4000 fantassins et 180 chevaux - ce qui donne une idée de l'ampleur des ralliements qu'il avait recueillis depuis le mois de mai; les Anglais avaient 15 000 fantassins et 1000 chevaux.
La défaite des Écossais semblait inéluctable, mais, à deux moines venus lui proposer une trêve pour éviter l'effusion de sang, Wallace répliqua: " Nous ne sommes pas venus ici pour avoir la paix, mais pour libérer le royaume. Que nos ennemis viennent à nous quand ils voudront, ils nous trouveront prêts à les combattre face à face "(in barbas eorum, selon les paroles du chroniqueur anglais Walter of Guisborough) C'est ce genre de phrases historiques qui deviennent vite légendaires et qui restent dans les mémoires des peuples.
Le site était, en apparence, défavorable à Wallace. La rivière, entourée de marais, n'était franchissable que par l'étroit pont de bois sur lequel deux cavaliers ne pouvaient passer de front (c'est ce pont, Stirling Bridge, qui a donné son nom à la bataille). Il suffisait donc aux Anglais, bien adossés à la colline imprenable du château de Stirling, de ne pas bouger pour bloquer Wallace sur la rive gauche et empêcher toute retraite.
Au matin du 11 septembre, un chevalier anglais, Marmaduke Tweng, gâcha tout en voulant à toute force attaquer. Il s'engagea sur le pont, étendard en tête, sans rencontrer de résistance. Wallace, avec un coup d'oeil de vrai stratège, saisit aussitôt sa chance : il laissa passer la moitié de l'armée anglaise, puis descendit de sa colline et lança ses troupes. Les Anglais, surpris avant d'avoir eu le temps de se regrouper, furent taillés en pièces. Ils perdirent 3000 hommes, dont plus de cent chevaliers; le trésorier Cressingham fut tué, et sa peau fut coupée en lanières dont, dit-on, un morceau servit de baudrier à l'épée de Wallace - mais l'anecdote est controversée. Surrey réussit de justesse à s'enfuir. C'était pour Wallace une victoire imprévue, éclatante, l'annonce d'une possible libération de l'Ecosse.
Aussitôt, entraînées par le mouvement, des villes ouvrirent leurs portes. A Aberdeen, Wallace fit pendre les bourgeois qui lui avaient résisté. Successivement, Dundee, Perth, Stirling, Edimbourg, Roxburgh, Berwick même échappaient aux Anglais. Plus extraordinaire encore, les orgueilleux comtes et barons écossais reconnaissaient l'autorité de Wallace, simple roturier. Robert Bruce l'arma chevalier; une réunion de chefs le proclama " gardien du royaume d'Écosse, chef de ses armées au nom de l'illustre prince Jean, roi d'Écosse par la grâce de Dieu ".
Dans les mois qui suivirent, on voit en effet Wallace agir comme un véritable souverain, ou tout au moins comme un régent. L'évêque de St. Andrews, William Fraser, étant mort, il désigne pour le remplacer l'anti anglais notoire William Lamberton, et le pape confirme ce choix. Wallace fait régner l'ordre dans les territoires libérés de l'occupation anglaise et dirige même des opérations au delà des frontières, en Cumberland et Northumberland,
Où les chroniqueurs anglais relatent avec force détails les horreurs commises par ces barbares. (L'un de ces épisodes vaut d'être cite, car il traduit bien le côté encore primitif de ces razzias. A l'abbaye de Hexham, Wallace interdit à ses hommes de piller les vases sacrés; mais, pendant la messe célébrée par un moine, les Ecossais profitant de ce que leur chef était allé se dépouiller de ses armes par respect pour le saint lieu, arrachèrent au prêtre ses ornements, le calice et la patène, et disparurent avant que Wallace fût rentré dans l'église
Pendant tout ce temps, Édouard 1er était sur le continent, où il aidait ses alliés flamands contre les Français. Quand il apprit l'évolution inquiétante de la situation en Ecosse, il repassa la mer et remonta à marche forcée vers le nord avec une armée considérable. Au début de juillet 1298, il réoccupa sans difficultés Berwick, puis Roxburgh. Wallace, regroupant ses forces, tenta de se retirer dans l'Ouest où étaient ses bases, mais Edouard averti, dit on, par le comte de Dunbar, jaloux de Wallace - lui barra le chemin à Falkirk.
L'été était excessivement chaud, les hommes souffraient de la soif. Wallace présuma de ses forces, ou peut être fut-il forcé d'agir par l'impatience de ses troupes. Au lieu de disperser ses hommes dans les forêts environnantes et d'épuiser l'armée anglaise par une tactique de guérilla - qui, sans doute, eût réussi, car ses adversaires commençaient à donner des signes de fatigue -, il décida de se retrancher et d'attendre l'attaque frontale d'Edouard en groupant ses hommes en bataillons (schiltrons) serrés et hérissés de lances, " comme des porcs-épics ". Les Anglais lancèrent contre eux leurs archers, puis leur cavalerie; les schiltrons écossais furent disloqués, puis dispersés. A la fin de la journée (22juillet 1298), il n'y avait plus d'armée écossaise, plus de 2 000 hommes étaient restés sur le terrain, et Wallace lui-même était fugitif. C'était la fin de la glorieuse aventure commencée un peu plus d'un an plus tôt.
La bataille de Falkirk, outre ses conséquences immédiates pour l'Ecosse, marque une date dans l'histoire militaire, car elle faisait définitivement la preuve que les archers pouvaient venir à bout de n'importe quelle formation immobile, aussi compacte fût elle. La leçon n'en sera pas oubliée: quarante-huit ans plus tard elle assurera la victoire des Anglais contre les Français à Crécy
Le triomphe ambigu d'Édouard 1er (1298-1304)
Après le désastre de Falkirk, Wallace abandonna son titre de gardien du royaume et passa en France (on connaît mal son sort entre 1298 et 1304. Peut-être combattit-il dans l'armée française en Flandre; en 1299 Philippe le Bel le qualifie de " bien-aimé ". En 1303-1304, on le retrouve en Ecosse, où, pour son malheur, il a repris sa carrière de guérillero). Une assemblée de chefs écossais nomma gardiens du royaume - toujours au nom du roi Balliol -John Comyn, John de Soules, Robert Bruce le Jeune et l'évêque Lamberton de St. Andrews.
Militairement, le roi d'Angleterre triomphait, mais pas plus qu'auparavant son autorité ne s'imposait au nord de la Tay et de la Clyde. Le mouvement de résistance auquel Wallace avait donné tant de force continuait, soutenu activement par le clergé. L'évêque Lamberton se rendit en France pour demander l'aide de Philippe le Bel (en vain, car à ce moment le roi de France ne songeait qu'à la trêve avec l'Angleterre, qui devait être signée, sous les auspices du pape, à Montreuil-sur-Mer le 19juin 1299, sans qu'il y fût fait mention de l'Écosse).
À Rome, le savant Baldred Bisset dénonçait auprès du pape Boniface VIII les " mensonges du roi d'Angleterre " et plaidait la cause historique de l'indépendance de l'Ecosse: là encore sans grand succès, car le pape, soucieux avant tout de réconcilier ses " très chers fils " de France et d'Angleterre, invita au contraire les évêques écossais à se soumettre au suzerain légitime du pays, c'est à dire à Edouard.
Ni le pape ni le roi Philippe n'oubliaient, cependant, le malheureux Jean Balliol et son fils, toujours prisonniers en Angleterre. Ils demandaient l'un et l'autre avec insistance à Édouard de les libérer, mais il fallut attendre juillet 1299 pour que les deux Balliol fussent remis entre les mains d'un légat pontifical, " par amour et respect filial envers notre Saint-Père ". Le roi déchu et son fils passèrent en France, où ils vécurent sur leurs terres patrimoniales; Jean le " tabard vide " mourut en 1315, sujet fidèle du roi de France; quant à son fils, Édouard Balliol, il devait faire parler de lui par la suite en Écosse, comme nous le verrons en relatant le règne de David II.
Pendant ce temps, en Écosse " non occupée ", le gouvernement des gardiens du royaume remportait quelques succès - par exemple à Roslin où, en février 1303, les Ecossais, maigre " poignée de farine ", triomphèrent d'une armée anglaise nombreuse " comme le sable de la mer ", selon l'expression pittoresque de John of Fordun. Mais la belle unité réalisée autour de Wallace s'effritait. Robert Bruce, âgé en 1300 de vingt cinq ans, n'admettait plus la fiction du règne de Jean Balliol, que son grand-père et son père n'avaient reconnu comme leur souverain que du bout des lèvres. Au conseil des chefs, les querelles entre Bruce et John Comyn, le neveu de Balliol, étaient de plus en plus âpres, aliantjusqu'aux menaces de violences physiques.
Bon gré mal gré, les autres nobles étaient obligés de prendre parti pour l'un ou pour l'autre; l'évêque de St. Andrews, ennemi irréconciliable les Anglais, se brouilla avec Comyn; James Stewart et le comte d'Atholl suivirent, puis Bruce démissionna de sa charge de gardien.
Toutes ces rivalités menaçaient de déboucher sur une guerre et, en définitive, sur le triomphe de l'Angleterre.
John Comyn travaillait auprès du roi de France à faire restaurer Jean Balliol. La perspective d'un retour du " tabard vide " suffit à provoquer le plus inattendu des revirements: le 16 février 1302, Robert Bruce fit sa soumission à Edouard 1er , après quoi il épousa, avec la bénédiction du roi d'Angleterre, une sujette de celle-ci, Elisabeth de Burgh, fille du comte d'Ulster.
Sur le continent aussi, la situation évoluait au détriment des Ecossais. La trêve de 1299 rompue, Philippe le Bel subissait en Flandre et en Guyenne de graves revers (bataille de Courtrai, 11juillet 1302; émeute contre les Français à Bordeaux, décembre); il n'était plus question pour lui d'aider les gardiens d'Écosse, moins encore d'envisager la restauration de Jean Balliol. Le traité de Paris (20 mai 1303) marqua la réconciliation complète du roi de France et du roi d'Angleterre, scellée par le mariage du fils du second avec la fille du premier.
Dès lors, Edouard 1er n'avait plus d'obstacle sur sa route en Écosse. Au cours de l'été 1303, à la tête de son armée, il franchit le Forth sur un pont de bateaux hâtivement construit et débouche sur Perth, Dundee, Aberdeen, poussant jusqu'au Moray Firth. Le château de Stirling, dernier bastion de l'indépendance et clef de la route des Highlands, capitule en juillet 1304. Les Comyn, longtemps âmes de la résistance, font leur soumission. Le pape, après une vaine tentative d'intervention auprès du roi d'Angleterre sous le prétexte (fallacieux) que l'Ecosse était terre du Saint-Siège, finit par condamner la résistance des évêques et leur ordonner de reconnaître Edouard pour leur roi légitime.
Le moment était venu pour celui ci de récolter les fruits de son indiscutable victoire militaire. Il promulga une promesse de pardon pour tous les Ecossais qui abandonneraient la lutte, en excluant toutefois Wallace, qui devait " se rendre à la merci du roi notre souverain seigneur, qui agira envers lui comme il le jugera bon "
Les ralliements, comme suite à cette proclamation, se multiplièrent; le pays, à peu d'exceptions près, était soumis. Quant au malheureux Wallace, capturé à Glasgow, il fut emmené en Angleterre, jugé pour trahison envers son souverain (ce qu'il récusa, niant avoir jamais prêté serment au roi Édouard) et pour les crimes et sacrilèges commis depuis le meurtre du sherrif de Lanark. Condamné à mort, il fut exécuté à Londres avec le raffinement de barbarie réservé au châtiment des traîtres, le 23 août 1305
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Ce supplice atroce, accompagné de tout ce que les Anglais purent imaginer pour humilier l'orgueil écossais, fit peut être plus pour la gloire posthume de William Wallace que ses exploits militaires au temps de ses éphémères triomphes. Les Ecossais d'aujourd'hui ont oublié ses actes de cruauté et ses violences; son monument, fièrement dressé sur la colline à l'endroit de la bataille de Stirling Bridge, reste le symbole de la résistance à l'oppression anglaise, et son nom est devenu légendaire comme celui d'un héros de l'histoire nationale *.
* Le film de Mel Gibson Braveheart (1996) a fait connaître William Wallace au pubhc français et européen. Malheureusement, sa valeur historique est à peu près nulle.
-> Bibliographie sur William Wallace