Si le sport n'hésite pas à se réclamer de la nation écossaise, il en est de même des médias.

L'Écosse possède un réseau de journaux, très dense pour un pays de cinq millions d'habitants et virtuellement indépendant de la presse londonienne, sauf dans le domaine financier puisque ce sont de grands groupes, dont certains sont trans-nationaux comme le groupe Thomson ou l'empire Murdoch qui contrôlent les uns et les autres.

Même, quand ils sont imprimés en Angleterre, comme le Scottish Daily Express depuis 1974, les journaux écossais sont vraiment des journaux différents des journaux anglais non seulement par leurs noms et leurs lieux de publication mais aussi par leurs rédactions et leur contenu qui privilégient la dimension écossaise des nouvelles nationales et internationales. Par exemple, lorsque le ministère de l'Emploi (à Londres) publie mensuellement les statistiques du chômage, l'article du Scotsman qui en fera état le lendemain mettra l'accent sur le niveau de chômage en Écosse et souvent il faudra le lire jusqu'à la dernière ligne pour trouver la statistique " britannique " globale.

De la même façon, les nouvelles de l'Union européenne seront surtout prises en compte lorsqu'elles affectent directement l'Écosse, autrement dit les problèmes de la pêche et du fonds structurel seront privilégiés. Le point de vue adopté est quelquefois tellement particulier qu'il arrive qu'on se demande, en passant de Londres à Édimbourg, et à plus forte raison ailleurs en Écosse, Si on est bien resté dans le même pays.

 

 

Principaux journaux écossais et leurs attitudes politiques

Quotidiens du matin (et lieux de publication)

 

Titres

Diffusion en 1995

Date de fondation

Propriétaire

Type

Ligne politique

Attitude envers l'autonomie

Daily Record

(Glasgow)

778 000

1895

Mirror Group

populaire

travailliste

très favorable

Scottish Sun

(Glasgow)

279 000

1964

Groupe Murdoch

populaire

changeante,

favorable

Scottish Daily

(Manchester)

146 000

1928

Trafalgar House

populaire

conservateur

hostile

Courrier and Advertiser (Dundee)

117 000

1801

D.C. Thompson

régional

conservateur

hostile

Press and Journal

(Aberdeen)

104000

1748

Thompson Organisation

régional

conservateur

sceptique

Herald

121 000

1783

G. Outram & Cie

sérieux

libéral

assez favorable

Scotsman

85 000

1817

Thomson Organisation

sérieux

libéral, modérément nationaliste

très favorable

 

Journaux du dimanche

Scotland on Sunday (Edimbourgh)

69 000

1988

Thomson Organisation

sérieux

libéral

favorable

Sunday Post

(Glasgow & Dundee)

1 227 000

1920

D.C. Thomson

populaire

conservateur

neutre

Sunday Mail (Glasgow)

888 000

1914.

Mirror Group

populaire

Travailliste et nationliste

très favorable

Scottish Sunday Express (Manchester)

90 000

1940

Trafalgar House

populaire

conservateur

hostile

 

L'examen détaillé du tableau montre tout d'abord l'anciennete des journaux écossais: deux datent du XVIIIe siècle, deux du début du XIXe siècle, un de la fin du XIXe siècle. Si l'on compte les six principaux journaux du soir (créés entre 1857 et 1879), on trouve dix journaux notables à avoir plus d'un siècle d'existence. On remarquera également l'importance des tirages; avec les quotidiens du soir et les journaux des petites villes et des Hautes Terres (dont le tirage est loin d'être négligeable) on parvient à une moyenne de presque un journal par adulte écossais et par jour.

C'est beaucoup plus que la France où le taux de lecture des quotidiens parisiens est en baisse, surtout en province, mais même davantage que l'Angleterre où pourtant la lecture d'un quotidien reste une activité essentielle. Le particularisme du contenu de la presse est, bien entendu, lié au fait que la plupart des Écossais n'ont envie de lire que des nouvelles écossaises et même ne s'intéressent aux nouvelles nationales et internationales qu'une fois qu'elles ont été passées au filtre de l'interprétation écossaise.

S'agit-il pour autant d'une attitude " paroissiale " et d'une volonté de vivre à l'heure de son clocher comme la plupart des observateurs le pensent ? Les Écossais répondent en choeur que ce n'est pas du tout cela, que l'Écosse est beaucoup plus tournée que l'Angleterre vers l'Europe et la vie internationale, et que, Si la presse de Londres est Si peu lue en Écosse c'est parce qu'elle n'est pas vraiment nationale et qu'elle reflète le point de vue de l'Angleterre du Sud.

En tout cas, les seuls organes de la presse de Londres qui ont une diffusion honorable en Écosse sont ceux qui ont accepté de se " scotticiser " en publiant des éditions propres à l'Écosse. C'est ainsi que le Daily Express a publié jusqu'en 1974 une édition écossaise préparée et imprimée à Glasgow.

En 1974, tout en diffusant une édition particulière à l'Écosse, le journal décidait de se replier àManchester, ce qui provoqua une longue grève à son siège de Glasgow. Malgré tout, en 1978, l'année cruciale du débat sur la dévolution contre laquelle il faisait campagne, il avait encore une diffusion moyenne de 565 000 exemplaires en Écosse.

Mais, la cause principale de son important recul en douze ans est moins son repli à Manchester que l'arrivée d'un important concurrent, au début des années 1980, l'édition écossaise du Sun qui a immédiatement conquis un large public: 279 000 exemplaires en moyenne en 1990 contre 4 219 000 pour l'ensemble britannique en 1988. Mais alors qu'à Londres, les deux organes se disputent les classes populaires, l'ouvrier notamment, en Écosse, Si le Scottish Daily Express joue la carte unioniste, le Scottish Sun fait, au contraire, vibrer la fibre nationaliste.

Pendant la campagne électorale de 1992, alors qu'il soutenait John Major en Angleterre, le Scottish Sun a pris fait et cause pour le SNP et l'indépendance de l'Écosse, pour des raisons essentiellement commerciales; c'est du moins ce qu'a prétendu la direction écossaise. Toutefois, cette apparente contradiction dans la ligne du journal était peut-être plus logique politiquement qu'il ne semblait. En attaquant la personnalité de Neil Kinnock en Angleterre et en faisant campagne pour le SNP en Écosse, les dirigeants du Sun avaient, en fait, un même objectif : endiguer la vague travailliste dont tous les sondages laissaient prévoir qu'elle ramènerait le parti de Neil Kinnock au pouvoir

Il reste que les journaux de Londres qui ne s'adaptent pas, se vendent très mal en Écosse: moins de 2 pour cent de leur diffusion globale. Le phénomène vaut également pour la presse sérieuse. En 1990, les trois journaux " sérieux " de Londres (The Times, The Guardian, The Independent) vendaient ensemble 47 000 exemplaires en Écosse alors que les deux quotidiens écossais " sérieux " (The Herald de Glasgow, The Scotsman d'Édimbourg) en vendaient 206 000.

Sans doute à cause de la tradition du Sabbat qui interdisait les loisirs collectifs le jour du Seigneur, la presse dominicale écossaise est encore plus développée que la presse dominicale britannique, 2 274 000 exemplaires en 1990 contre 18 millions; un exemplaire pour un peu plus de deux habitants en Écosse, un exemplaire pour près de quatre dans le reste du Royaume-Uni. Une mention particulière doit être accordée au Sunday Post qui jouit d'un statut unique puisqu'il est lu par près de 80 pour cent des Écossais adultes. Son populisme de droite, son puritanisme et son provincialisme militants en font un des piliers de la tradition populaire où s'affirme l'identité nationale écossaise.

Dans les Hautes Terres et les îles, existe également une presse bien vivante qui doit son influence aux solidarités locales et (au moins autrefois) aux difficultés de transport des journaux nationaux. La plupart de ces journaux datent du XIXe siècle. Les plus connus sont le Highland News publié à lnverness, le Rosshire Journal à Dingwall, le Stornoway Gazette à Stornoway (Western Isles) qui ont chacun une diffusion dépassant 10 000 exemplaires. On peut citer également l'Orcadian à Kirkwall, le Shetland Times à Lerwick. En majorité, ces journaux sont politiquement neutres, mais les déclarations du député local, quel qu'il soit, sont toujours en bonne place.

L'existence d'une presse vivante et autonome contribue largement à établir et àrenforcer le particularisme écossais, à Londres comme à l'étranger. Il reste que cette presse peut se tromper sur les véritables sentiments de l'opinion. Il est clair, par exemple, que, dans les années 1974-1979, elle avait très largement exagéré la demande de dévolution ou, plus exactement, qu'elle a continué de se comporter comme Si cette demande était fixée pour toujours au plus haut niveau. De même, avant le fameux Doomsday Scenario des élections de 1987, la presse " dévolutionniste " a fait l'erreur de prendre pour argent comptant toutes les prédictions de rupture avec le système émanant des rangs travaillistes. Elle n'en a que plus déchanté après.

 

 

 

 

Par la force des choses, les médias audiovisuels sont davantage intégrés au système britannique, à commencer par la télévision. Mais, Si la BBC, comme le veulent son titre et sa charte, a une vocation britannique, télévision et radio indépendantes sont plus diversifiées.

En 1993, les téléspectateurs écossais pouvaient choisir entre les deux chaînes de BBC Scotland qui couvrent presqu'entièrement le territoire écossais (à part quelques îles et quelques zones très excentriques) et les programmes de trois sociétés de télévision commerciale (relevant de Channel 3, anciennement Independent Television) qui n'entrent pas en concurrence car elles couvrent des secteurs géographiques différents; la plus importante est Scottish Television (STV), basée à Glasgow, qui s'adresse à l'Écosse centrale, soit à plus de la moitié de la population ; les deux autres sociétés étant Grampian qui couvre le nord-est depuis Aberdeen et Border qui émet de part et d'autre de la frontière depuis Carlisle en Angleterre.

Les émissions propres à l'Écosse se sont développées à partir des nouvelles et des actualités plutôt qu'à partir d'une production culturelle régionale. C'est le 30 août 1957, que BBC Scotland lança son premier bulletin de nouvelles propre à l'Écosse, notons-le la veille du jour où ITV allait inaugurer son propre service (Scottish TV) en Écosse. C'est donc la concurrence de la chaîne indépendante qui allait inciter la BBC à accentuer son image régionale.

En 1953-1954, BBC Scotland produisait elle-même 32 heures de programmes, ce qui correspondait à 15 pour cent des programmes diffusés en Écosse. En 1989-1990, elle a produit 711 heures de programmes sans compter les nouvelles et actualités (522 heures pour la seule région, 189 heures pour l'ensemble du réseau) ce qui représentait 15 pour cent des programmes locaux mais seulement 2,3 pour cent de la production de l'ensemble du réseau. On trouvait à peu près le même pourcentage pour la télévision commerciale (avec un peu moins pour Border compte tenu de son caractère non complètement écossais). En 1991, 42 pour cent des programmes écossais de ST\( étaient constitués des nouvelles et de programmes d'actualité, ce qui n'empêche pas, bien entendu, les nouvelles nationales et internationales mais ce qui permet aux bulletins propres à l'Écosse de disposer de plus de temps pour explorer et analyser les nouvelles locales et pour donner une dimension écossaise aux autres nouvelles.

En matière de radio, les différents programmes de la BBC couvrent l'ensemble du territoire écossais; mais si, en 1990-1991, Londres fournissait 30 534 heures de programme à l'ensemble du réseau, BBC Scotland produisait 263 heures de programmes " nationaux " et 6 376 heures de programmes uniquement destinés à l'Écosse (essentiellement nouvelles, documentaires culturels et éducatifs, émissions en gaélique).

Les programmes les plus écoutés sont Radio-4 (avec quelques options proprement écossaises) et surtout Radio Scotland (depuis 1978) qui a remplacé le programme régional du Home Service de Londres et possède maintenant sa propre longueur d'onde. Le programme Good Morning Scotland est toujours très suivi. Mais, la BBC, depuis la fin des années 60, n'a plus le monopole de la radiodiffusion; comme ailleurs en Grande-Bretagne, on a vu apparaître une multitude de petites radios locales qui ne vivent que de la publicité. Certaines n'ont pu survivre. Toutefois, Radio-Clyde (depuis 1974) autour de Glasgow, et Radio Forth (depuis 1975) autour d'Édimbourg, sont particulièrement écoutées dans leurs zones de diffusion.

L'Écosse est dans l'ensemble plus favorisée que les régions anglaises en ce qui concerne l'autonomie de ses programmes; depuis la fin des années 1970, une place plus grande (qui devait correspondre à la création de l'assemblée écossaise) a été faite aux programmes en gaélique non seulement sur les stations de la BBC mais aussi avec la création de postes locaux spécifiques: Radio Highland (lnverness) et Radio nan Gaidheal (Stornoway).

Il n'y a toutefois rien de comparable avec BBC Radio Cymru et surtout avec la chaîne de télévision Channel 4 qui, au Pays de Galles, sous le nom de SC4, émet presque uniquement en gallois pour une audience potentielle de quelque 500 000 Gallois bilingues. Mais, le public potentiel en langue gaélique ne représente qu'environ le dixième de la population galloise parlant gallois.

En Écosse, un National Broadcasting Council for Scotland, qui rassemble des personnalités de l'Establishment écossais, veille à ce que les mêmes règles de neutralité et de moralité qu'édicte le NBC de Londres soient appliquées en Écosse. Il tend néanmoins à contrebalancer le particularisme entretenu par la presse écrite et à maintenir une certaine uniformité culturelle d'un bout à l'autre des Îles Britanniques.

Bref, certains milieux l'accusent d'entretenir un unionisme sournois. En période électorale, des règles précises et assez rigides sont édictées pour l'ensemble du Royaume-Uni. La règle, c'est que tout parti qui présente au moins 50 candidats dans plusieurs régions à la fois a droit à une émission de 5 minutes sur l'ensemble du territoire; ainsi le SNP, qui présentait 65 candidats en 1970, mais dans une seule région, aurait-il dû normalement être privé de toute émission officielle.

En fait, compte tenu de son caractère " écossais ", il eut droit à une émission de 5 mm, ce qu'il avait déjà obtenu en 1966, mais uniquement en Écosse. Ce contingent fut augmenté à deux émissions en 1974 (alors qu'il avait un député sortant). Depuis, il bénéficie d'un arrangement particulier calculé non pas en fonction de la représentation écossaise comme il le souhaite mais en fonction des effectifs parlementaires globaux.

Pour le référendum du 1er mars 1979, les partis ne réussirent pas à s'entendre sur une distribution du temps de parole, aussi n'y eut-il pas de propagande partisane officielle. Elle fut remplacée par des émissions plus vivantes sans aucun doute : reportage quotidien de la campagne, tables-rondes bien équilibrées d'hommes politiques et d'observateurs ; en outre, le Premier ministre, J. Callaghan ayant - le lundi précédant le scrutin -, au cours de l'émission Panorama, lancé un appel en faveur du Oui, l'opposition exigea aussitôt un droit de réponse qu'elle obtint dès le lendemain sur les chaînes écossaises: c'est l'ancien Premier ministre, et ancien député écossais, Lord Home, qui parla pour le camp du Non et on a dit à l'époque que cette intervention de dernière minute a ajouté à l'indécision des Écossais.

En avril 1995, la même émission Panorama a fait scandale en voulant diffuser, à l'échelle du Royaume-Uni, une interview du Premier ministre par David Dimbleby, à quatre jours d'un scrutin local propre à l'Écosse (pour l'élection des nouveaux conseils locaux). Un haut juge écossais, à la demande des partis d'opposition, interdit à la BBC de diffuser l'émission en Écosse (ce qui, pour des raisons techniques, a privé certains téléspectateurs anglais et nord-irlandais de l'interview du Premier ministre); le juge a, en effet, estimé que laisser John Major défendre sa politique (même sur des sujets nationaux et internationaux n'ayant rien à voir avec les problèmes locaux) devant tous les foyers écossais, était donner au parti gouvernemental un avantage indu en période électorale.

En dehors des élections, les règles sont moins strictes, mais la télévision est tenue à un plus grand équilibre que la presse et chaque secteur de l'opinion doit être, autant que possible, représenté. Malgré tout, les media sont plutôt bien intégrés à la réalité politique et sociale écossaise qu'ils reflètent fidèlement.

Ils réagissent davantage aux décisions prises en Écosse pour l'Écosse qu'à ce qui se passe à Whitehall, sauf quand l'Écosse est directement concernée. De leur côté, les responsables politiques écossais, à Édimbourg comme à l'échelon local, surveillent avec attention les suggestions et les réactions du Scotsman ou du Herald de Glasgow, de la même façon que leurs collègues de Londres sont sensibles àce que pensent le Times, le Guardian ou le Financial Times de telle décision politique ou économique.