Les " bénéfices " financiers du pétrole et du gaz sont surtout sensibles sous forme d'impôts payés au Trésor britannique et de rentrées de devises pour la balance des paiements du Royaume-Uni C'est donc à l'ensemble britannique et non à l'Écosse seule qu'ils ont profité depuis que la Grande-Bretagne est devenue autosuffisante, en 1980, date où la production de pétrole a dépassé 80 millions de tonnes (le premier surplus de la balance énergétique globale ayant été obtenu au cours du 1er trimestre 1980, c'était le premier depuis plus de quarante ans)

 

Et on peut dire que, sans la mer du Nord, le gouvernement Thatcher n'aurait pas eu les moyens économiques - donc en fait politiques - de faire face aux restructurations des premières années 80 et à la destruction de quelque deux millions d'emplois industriels qui les a accompagnée.

 

D'un autre côté, on peut aussi arguer que, en provoquant une forte poussée de la livre sterling par rapport aux grandes devises mondiales, l'arrivée à plein régime de la production de pétrole et de gaz a aggravé les difficultés internes et causé le naufrage de secteurs qui étaient fondamentalement sains. Il reste que la production de pétrole a atteint un sommet, en 1985, (122 millions de tonnes produites et 8 milliards de livres de surplus pour la balance des paiements), faisant de la GrandeBretagne le cinquième extracteur du monde et, pour le gaz (qui n'est pas seulement écossais), le plus grand producteur en Europe.

 

Certes, la production et les rentrées en devises ont diminué après le contre-choc pétrolier de 1986, mais on sait désormais que le Royaume-Uni sera encore autosuffisant au début du prochain millénaire. C'est donc en tant que partie de l'ensemble britannique que l'Écosse a tiré profit de la richesse pétrolière et gazière.

 

Il n'empêche que les apports directs, en termes d'emplois et d'activités annexes, n'ont pas été négligeables. On peut considérer aujourd'hui qu'environ un emploi écossais sur vingt est lié à la présence des activités pétrolières: en 1990, il y avait 64 100 emplois directement liés à l'extraction du gaz et du pétrole et environ 35 000 dans les industries annexes.

 

Le problème c'est que ces emplois ont surtout bénéficié à des travailleurs migrants qui viennent de partout au Royaume-Uni et qui dépensent peu localement. En outre, ils sont concentrés autour d'Aberdeen provoquant localement une pénurie du logement, et donc une augmentation des prix, et, en même temps, un déséquilibre de l'emploi à l'intérieur même de l'Écosse entre un nord-est prospère et un centre-ouest beaucoup moins favorisé. Il reste que la mutation d'Aberdeen, de l'un des plus grands ports de pêche au long cours britannique en " Houston européenne " a pu se faire en relative douceur.

 

Seule la construction des plates-formes a pu être décentralisée. Au départ pourtant, l'industrie écossaise n'avait pas réagi assez vite devant cette nouvelle activité qui s'offrait, notamment les chantiers navals, pourtant sous-employés; et il a fallu l'intervention gouvernementale et la création d'un Offshore Supplies Office à Aberdeen, dans les années 1970, pour que les entreprises écossaises prennent une part significative des marchés liés au pétrole: à la fin de 1979, sur les 32 plates-formes en fonctionnement en mer du Nord ou en construction, 18avaient été commandées en Écosse; en outre, 79 pour cent de l'ensemble des approvisionnements étaient assurés par des entreprises écossaises contre 62 pour cent en 1977

 

La naissance d'une industrie entièrement nouvelle dans un petit pays de forte syndicalisation comme l'Écosse n'a pas été sans créer de nombreuses tensions sociales. Traditionnellement, le travailleur du pétrole, surtout quand il n'hésite pas à s'expatrier, est un individualiste qui exige certes une rémunération directe élevée mais sans beaucoup de garanties en matière de droit ou d'accidents du travail et quelquefois même avec le statut de travailleur indépendant.

 

On devine, par conséquent, qu'une main d'oeuvre de ce genre n'est pas facile à " organiser ", au sens que les syndicats britanniques donnent à ce mot, d'autant qu'au départ huit syndicats principaux étaient partie prenante, certes regroupés dès 1974 par un comité intersyndical du pétrole off-shore, mais dont l'influence sur les relations du travail resta marginale, ce qui n'empêcha pas de nombreuses grèves sauvages, souvent dues à des initiatives individuelles.

 

Puis, il y eut l'explosion de la plate-forme Piper Alpha, en haute mer (à 110 milles à l'est d'Aberdeen) dans la nuit du 6 juillet 1988, qui provoqua la mort (par le feu et la noyade) de 167 personnes ; cet accident montrait qu'une industrie moderne comme le pétrole pouvait être aussi dangereuse que certaines activités traditionnelles, comme le charbon ou la pêche. Depuis, le syndicalisme s'est radicalisé en mer du Nord ; un comité de liaison, d'abord " illégal ", a fini par se faire reconnaître comme syndicat à part entière. Toutefois, s'il existe depuis 1991 une sorte de convention collective pour les travailleurs on shore, elle n'a pas été étendue aux opérateurs des plates-formes.

 

Dernier aspect de l'industrie du pétrole, elle est cyclique et très sensible aux récessions mondiales. Le contre-choc pétrolier de 1986 allait provoquer la perte de 20 000 emplois en Écosse, notamment sur les sites de construction de plates-formes des Hautes Terres, alors que le reste de l'économie britannique sortait de la récession.

 

Inversement, alors que l'industrie mondiale du pétrole s'attendait à un rebond du prix du pétrole à 20 dollars le baril (chiffre qui n'a été atteint que brièvement pendant la guerre du Golfe), il y eut, en 1989, une sorte de mini-boom dans la région de Grampian, la plus sensible à la conjoncture pétrolière, avec 125 demandes de licences, 105 octrois de licences et 328 puits en pleine production ! C'est d'ailleurs ce mini-boom très local qui a permis à l'Écosse de résister, mieux que l'Angleterre, à la récession des années 1990-1992. Mais c'est sans doute aussi parce qu'elle n'avait pas connu non plus les excès de la bulle spéculative des années 1988-1989.